Il est au-dessus de mes forces de supporter plus longtemps d’entendre ce mépris de classe se déverser dans le microcosme bobo culturel à l’égard des électeurs Bardella, présentés comme des beaufs incultes et hypnotisés par Tiktok. De voir défiler des nantis de 30 ans, psalmodiant de façon incantatoire que la « jeunesse emmerde le Front National » pour se sentir jeunes et rebelles, alors qu’ils ne font que répéter les antiennes de leurs parents boomers en 2002, et qu’ils incarnent le passé. Je retrouve les mêmes affects, les mêmes slogans, la même arrogance, la même fausse conscience que pendant le mouvement des Gilets Jaunes. Le même dégoût du prolo.
On se rend compte que beaucoup de petits bourgeois gauchistes auraient aimé que Macron ne dissolve jamais l’Assemblée Nationale, qu’il conserve le pouvoir indéfiniment, pourquoi pas à vie, et qu’il poursuive tranquillement son projet de destruction de l’État social en ne subissant que l’opposition théâtrale d’une gauche qui se rabat sur lui à chaque élection.
Ces gens ne souhaitent pas l’abrogation de la réforme des retraites, contre laquelle ils ont manifesté bruyamment dans la rue, alors qu’ils savaient parfaitement qu’en reconduisant Macron au pouvoir pendant cinq ans, elle serait adoptée.
Ces gens se foutent de la souffrance des classes laborieuses, dont ils prétendent incarner les revendications, sous la bannière d’un « Front Populaire » autoproclamé qui n’est qu’un consortium de profs, d’étudiants et de petits bourgeois péteux. Incapables d’écouter le peuple, mais parlant en son nom, sans jamais le côtoyer. Ces gens ne sont que les supplétifs du pouvoir, qui les encourage, les soutient et même les paye.
Derrière leur antifascisme il y a un désir d’ordre. Un instinct de conservation qui, comme l’écrivait Nietzsche, sous-tend toutes les mauvaises actions. Quoi qu’ils en disent, l’ordre social tel qu’il se maintient depuis quarante ans leur convient, et c’est bien normal, parce qu’ils en vivent. Toute opportunité saisie par le peuple de faire advenir un changement est perçue par ces gens comme une menace ou un trouble.
Ces gens ne souhaitent pas que le peuple gouverne, qu’il décide à leur place, qu’il actualise sa puissance. Parce qu’ils ont peur du peuple. Parce qu’ils se croient supérieurs intellectuellement et moralement. Parce qu’ils ont des diplômes. Parce qu’ils ont fait des études. Parce qu’ils vivent dans les métropoles qui concentrent tous les flux financiers de la mondialisation. Parce que leurs emplois ne sont pas menacés par l’immigration de travail, la substitution de prolétariat, la désindustrialisation et le libre-échange constitutionnalisé dans les traités européens. Parce qu’ils ne subissent pas le pouvoir informel de la délinquance systémique qui sévit dans les quartiers islamisés, que Macron et ses sbires ont laissé prospérer. Ils pensent et ils disent que ce n’est qu’un fantasme. Parce qu’ils ne connaissent pas la douleur des mères de famille devant raser les murs des cités en baissant les yeux, en évitant de croiser le regard du dealer qui en toute impunité fait son négoce dans la cage d’escalier lorsqu’elles emmènent leurs enfants à l’école. Parce qu’ils n’y vivent pas. Parce que ce sont des bourgeois.
Parce qu’ils pensent savoir mieux que les ouvriers, les employés, les paysans, les artisans ce qui est bon pour eux, alors qu’ils n’ont jamais travaillé de leurs mains. Parce que ce sont des bourgeois.
Comme à chaque fois, le vote barrage sera un vote de classe. L’expression par les urnes de l’impudence de gens qui se sont trouvés, à travers l’antifascisme, un argument moralement irréprochable pour justifier politiquement leur détestation des pauvres.
Mais cette fois-ci, la digue risque fort de sauter, et pour une fois, ils pourront bien fermer leur gueule.
Ces élections sont l’occasion historique de faire comprendre à ces gens à quel point ils sont haïs.