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LA CIVILISATION NE VOUS OUBLIE JAMAIS

«L’État s’était non seulement attaqué à l’activité de mon père, mais surtout à son mode de vie, à son être au monde, à son identité d’organisme vivant.
Son projet avait consisté à vouloir échapper, par l’autonomie et le travail, à l’aliénation sociale. Mais la société ne l’avait jamais oublié. Elle n’avait cessé au contraire de se rappeler à lui. Jusqu’à le mettre à l’épreuve, et à le pousser à bout. Il était désormais impossible de se cacher, de fuir. Peut-être avait-il sous-estimé les capacités de l’État à se défendre, à conserver ses prébendes, à régenter la vie des gens, et son zèle maniaque à punir ceux qui tenteraient de se déprendre de lui. La civilisation poursuivait de toute évidence un dessein et une finalité qui n’étaient pas les nôtres, au service d’intérêts contraires à nos aspirations. Nous ne pouvions absolument pas nous permettre de nous contenter de nous soustraire à la marche du monde. On ne nous laissera pas cultiver notre jardin en paix. Nous devions nous organiser et agir. Prévoir les choses sur le temps long. Nous équiper et nous armer. Dans le sens juridique, j’entendais bien. L’arsenal invraisemblable de katanas, de couteaux de chasse et d’armes à feu que mon père avait constitué dans sa réserve n’avait servi en rien à le protéger des ingérences de l’État sur sa vie privée.
De tuer un fonctionnaire d’un coup de carabine dans le ventre l’aurait simplement envoyé en prison à vie. Le système pénal, si clément envers les racailles, saurait se montrer impitoyable avec lui pour l’exemple. À lui seul, il ne pouvait rien contre l’État Français et ses 5, 7 millions d’agents publics, dont les bras armés étaient ses 144 000 policiers et les 98 000 gendarmes au service du maintien de l’ordre, sans parler de l’armée de métier et de ses 205 000 militaires d’active.
Toute forme de séparatisme était rendu impensable. Il était inimaginable de subvertir les institutions. L’Éducation Nationale, la Justice et le pouvoir politique étaient entièrement verrouillés, et dirigés contre nous. Toute tentative révolutionnaire ne pourrait se dérouler que dans une confusion totale des objectifs et des affects collectifs, qui seraient immédiatement captés à des fins de manipulation par des forces organisées et contrôlées d’en haut, et n’aboutirait en dernière instance qu’à un accroissement du pouvoir de l’État.
La violence ne pourrait nous être d’aucune utilité. Il fallait se rendre une bonne fois pour toute à l’évidence. La vraie force du présent, c’était le droit et la science.»

Extrait de mon roman «Une Jeunesse d’Europe», 692 pages, aux Éditions de la Reine Rouge.

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Image : Sylvester Stallone dans «Rambo» (First Blood) de Ted Kotcheff, 1982.